Le concept de conflit et ses limites d’usage, partie 1/7

Publié le par janssen

Le concept de conflit et ses limites d’usage
 
 
PLAN :
Introduction
1ère partie : le rôle des groupes 
Comment définir le groupe ?
Trois modèles de transformation des groupes
1) Modèle utilitaire
2) Modèle de la cohésion sociale
3) Modèle de l'identification sociale
L'analyse des groupes
Les groupements organisés (Max Weber)
1) Le groupement à domination politique
2) Le groupement hiérocratique
Avant d'aborder les questions relatives à la médiation et au conflit dans la société actuelle, il convient d'en définir les termes (Larousse). Ainsi, la notion de médiation est apparue en 1561. Elle est définie comme étant :
1. Entremise destinée à amener un accord.
2. Règlement des conflits collectifs du travail grâce à l'intervention d'un médiateur
3. Droit. Procédure qui propose une solution aux parties en litige sans la leur imposer, comme dans l'arbitrage.
 
Le médiateur est un terme plus ancien. Du bas latin mediator, de mediare = s'interposer, être au milieu, 1265. Qui s'entremet ou qu'on choisit pour amener un accord, un accommodement.
En théologie, c'est le titre donné à tous ceux qui servent d'intermédiaire entre Dieu et les hommes et spécialement à Jésus-Christ.
1. Personne désignée pour régler un conflit collectif du travail après l'échec de la procédure de conciliation.
2. Personnalité chargée de régler les conflits entre l'Administration et les particuliers (1972).
 
Le conflit : du bas latin conflictus, de confligere : se heurter, 1180.
1. Violente opposition matérielle ou morale (syn. : guerre, lutte, dispute)
2. Psychanalyse : Opposition vécue par l'individu entre les pulsions et les interdits sociaux.
3. Droit. Incident de procédure résultant du fait que deux tribunaux de même ordre ou d'ordre différent se considèrent comme compétent dans une même affaire.
 
Par ces deux définitions il apparaît clairement que la médiation et le conflit font partie intégrante de la dynamique sociale. Avant de les analyser, il convient d'effectuer un rappel du cadre dans lequel ces notions interviennent. De tous temps, le conflit a existé, d'abord entre deux individus ou plusieurs pour un même objet, puis entre différents groupes sociaux constitués pour contrôler ou augmenter leur accès à des biens matériels ou symboliques. Le conflit naît d'une opposition ou un désaccord entre deux individus sur un sujet, un objet ou une idée. Cela peut être de la nourriture, un objet de valeur, etc. que l'un possède et que l'autre veut posséder. Il s'en suit un processus de transaction qui, s'il n'aboutit pas à la satisfaction des deux parties, va générer une lutte qui aura pour résultat un dominant et un dominé.
 
1e partie : le rôle des groupes
 
Dans la société contemporaine, le principe est resté le même, mais au delà des luttes entre individus, des groupes sociaux se sont progressivement constitués et ont évolué au cours de l'histoire, selon leur position les uns par rapport aux autres.
 
Comment définir le groupe ?
 
Quand il est question de définir le groupe, on s’accorde plus volontiers sur des définitions négatives ( ce qu’il n’est pas) que sur des définitions affirmatives Il est ainsi classique de signaler que tout regroupement de personnes ne constitue pas forcément un groupe, qu’il peut se réduire à un agrégat, c’est-à-dire à un ensemble d’individus unis par la simple proximité physique, mais sans liens entre eux, comme par exemple dans une file d’attente. Si le groupe se différencie d’une simple collection de personnes, ce ne peut être que par l’établissement d’une ou plusieurs liaisons entre elles. Un premier type de liens est imaginaire : c’est parce que les désirs et les rêves des membres entrent en résonance que le groupe se forme. Un autre grand type de lien dérive de la technique, de procédés ou de savoir-faire partagés qui créent des liens fonctionnels entre les personnes. La liaison se constitue également par l’adhésion commune à un système de valeurs. Si ce type de lien est particulièrement explicite dans les groupes confessionnels par exemple, en fait il existe dans tous les groupes par le biais du système de normes qui les régit. Il n’y a pas de groupe sans normes, et réciproquement, les normes sont produites par des collectifs.
Ainsi, l’agrégat des personnes qui forment cette file d’attente au bureau de poste se transformera en groupe lorsque, se mettant à interagir entre elles, ces personnes échangeront leurs représentations du service public et s’organiseront pour engager ensemble une action de contestation visant à obtenir que plus de guichets soient ouverts. C’est donc dans l’interdépendance de ses membres qu’un groupe se forge. Encore faut-il bien voir que cette interdépendance implique une triple détermination, fonctionnelle, normative et imaginaire. Ce constat s’applique à toute une série de situations (prise d’otages, panne d’ascenseurs, etc.) qui semblent transformer brusquement une collection d’individus hétérogènes en un collectif capable d’une action commune.
Dans ce qui précède, le groupe a été défini par l’interaction et l’interdépendance, c’est-à-dire de l’intérieur. Or, ce qui se passe dans un groupe, la manière dont il se forme, s’organise et se structure, dépendent pour une bonne part de ce qui se passe à l’extérieur du groupe, et en particulier de ses rapports avec d’autres groupes. C’est ce qu’a démontré le philosophe Jean-Paul Sartre dans son analyse de la Révolution française. Sans la famine, explique-t-il, ce groupe (des insurgés) ne se serait pas constitué. Mais d’où vient qu’il se définisse comme organe de lutte commune ? Pourquoi ces hommes ne se sont-ils pas disputé les aliments comme des chiens ? c’est l’encerclement de Paris par les troupes du roi qui a transformé la horde des affamés en groupe. Et c’est contre un autre groupe, le gouvernement qui tentait une politique de force, contre les « dragons » que le peuple de Paris s’est armé.
On le voit, le groupe ne saurait être défini sans rapport d’extériorité. C’est particulièrement frappant dans l’analyse sartrienne, où la délimitation du groupe est figurée concrètement par l’encerclement. Mais tout groupe s’établit en rapport avec d’autres groupes, et définit son fondement, son identité, sa raison d’être, même si ce n’est pas immédiatement apparent. Ainsi, à la Poste, la transformation de la file d’attente en groupe s’opère par rapport à une autre entité, aux intérêtes antagonistes, l’entreprise publique La Poste qui cherche à faire des économies. Dans une entreprise le groupe des grévistes s’oppose aux non-grévistes.
Certes le processus de différenciation grâce auquel un groupe se forme par rapport à d’autres n’est pas forcément aussi conflictuel que dans les exemples évoqués, mais il est toujours à l’œuvre. Le groupe des femmes se constitue par rapport aux groupes des hommes, des gens du troisième âge regroupés en association revendiquent leur droit à la sexualité en référence aux plus jeunes, etc. On le voit, les caractéristiques du groupe, ses finalités, ses enjeux n’acquièrent de signification que dans la confrontation, la comparaison avec d’autres groupes et les évaluations qui en découlent.
 
Trois modèles de formation des groupes
 
Le modèle utilitaire : on se sert des groupes pour combler certains besoins. Dans de nombreuses situations insatisfaisantes ou menaçantes, nous recherchons l’appui des autres, pour nous sentir moins impuissants, plus en sécurité. De nombreuses recherches ont porté sur l’existence d’un besoin d’affiliation proprement dit, dû à la nécessité d’éviter l’isolement et d’avoir des contacts avec les autres. Les gens ont des besoins sociaux à satisfaire, et les groupes pour cela leur sont utiles.
 
Le modèle de la cohésion sociale : on s’aime, alors on forme un groupe. Selon ce modèle, l’attraction interpersonnelle est l’élément déterminant dans la formation des groupes. Plus l’attrait est grand, plus le groupe est cohésif. Mais la cohésion est une propriété variable. Certains groupes sont plus cohésifs que d’autres et le même groupe peut être plus ou moins cohésif selon les circonstances. On a pu mettre en évidence que la cohésion fait baisser le turn-over, et rend la participation au travail du groupe plus active, qu’elle augment le moral et la satisfaction. Par contre, même si on a longtemps cru et parfois mis en évidence que la cohésion améliorait le rendement des groupes, ce n’est pas toujours le cas, et on ne peut donc conclure à l’existence d’une liaison toujours positive entre cohésion et rendement. Un des effets les plus criants de la cohésion dans un groupe, c’est qu’elle accentue la conformité aux normes du groupe, pour le meilleur et pour le pire. En s’appuyant sur la conformité particulièrement forte des groupes cohésifs, il est possible de provoquer des changements dans les habitudes de leurs membres. On peut les amener à renoncer à leurs préjugés, à acquérir un nouveau style de vie, à changer de comportement alimentaire, dans la mesure où les changements prônés correspondent à ce qui est valorisé dans le groupe.
 
Le modèle de l’identification sociale : on est membre d’un groupe, alors on s’aime. Cette approche ne voit dans l’attraction qu’un épiphénomène, une conséquence d’un processus plus fondamental. Leurs arguments s’étayent sur les théories de l’identité sociale et de l’autocatégorisation, qui les amène à affirmer que la question au départ de la formation des groupes n’est pas « est-ce que j’aime ces gens ? » mais « qui suis-je ? ». Autrement dit, la formation des groupes a une base perceptive et cognitive, et non pas affective. Je m’autocatégorise comme membre d’une famille nombreuse, comme étudiant, comme membre d’un orchestre. Ces catégories constituent des éléments importants du concept de soi et précisent les attributs d’une catégorie, ce qui est prototypique de cette catégorie, et à partir de quoi je m’évaluerai et évaluerai les autres. Cette analyse aboutit à distinguer l’attraction interpersonnelle fondée sur les particularités personnelles (je la préfère parce qu’elle est gaie) à l’attraction sociale fondée sur la prototypicalité (en tant que membre de ce groupe d’alpinistes qui valorise l’endurance, j’ai un penchant pour lui, le plus endurant de nous tous). On voit qu’alors, l’attraction interpersonnelle ne s’avère plus nécessaire à la formation d’un groupe et au développement de sa cohésion. Celle-ci est le fruit de l’identification sociale de plusieurs personnes à un même groupe. L’ordre des choses est alors inversé, on ne formerait pas des groupes avec des gens que l’on aime, on aimerait les gens qui font partie des mêmes groupes que vous[1].
 
L’analyse des groupes
 
Une approche sociologique, centrée sur des systèmes d'interdépendances, tenant compte des positions relatives, permet de saisir la dynamique de constitution ou de déclin des groupes sociaux. Position matérielle, représentations, capacités à se doter de représentants ou à maintenir leur influence, sont des éléments essentiels de cette analyse. Ainsi, par exemple, ce ne sont pas seulement les conditions économiques qui expliquent l'apparition d'un groupe de «cadres». Certes, la diminution de la rente et l'inflation appauvrissaient les membres de la petite et moyenne bourgeoisie. Mais les ingénieurs, les chefs de service, les comptables, etc. n'ont constitué le groupe des cadres qu'après avoir pris conscience de la nécessité de se rassembler pour ne pas être exclus des accords patronat/classe ouvrière, (après les accords de Matignon de 1936 qui sanctionnaient cette bipolarisation) et surtout après avoir su se doter d'emblèmes, de mots de ralliement, à même de signifier pour chacun une identité commune et de justifier une délégation de pouvoirs à des représentants.
 
De la même façon, on ne peut comprendre la constitution d'un «âge social» - groupement aux frontières toujours floues - comme l'est le groupe des jeunes, sans une analyse socio-historique qui conduirait par exemple à différencier quatre périodes : l'invention de l'enfance au XVIIIe siècle, l'apparition des premiers étudiants au XIXe siècle, les mouvements de jeunesse entre 1870 et 1940, la scolarisation massive après 1955. Des rapports complexes entre groupes sociaux, combinant des stratégies individuelles et des intérêts globaux expliquent ce développement.
 
La constitution d'un groupe implique bien souvent son organisation par un appareil chargé de le représenter, et d'assurer sa pérennité. Pour ce faire, le groupe est amené le plus souvent à confier à certains membres la tâche d'inculcation des manières de penser et d'agir spécifiques, à d'autres la fonction de représentation (liée fondamentalement à l'élaboration de stratégies pour faire face aux situations). La nécessité de combiner reproduction et représentation implique une structure de domination particulière. L'analyse de tout groupement organisé débouche donc rapidement sur l'analyse du mode de domination spécifique (Max WEBER).
 
Les groupements organisés (Max WEBER)
 
Max WEBER a été un des premiers sociologues à chercher à comprendre les logiques pouvant expliquer comment s'organisaient des groupements pour imposer durablement leurs intérêts. Max WEBER est amené à différencier les groupements à partir de deux dimensions, la «communalisation» et la «sociation».
 
La «communalisation» est une relation sociale fondée sur le sentiment d'appartenance au même groupe. L'identification, la fusion sont ici des dimensions essentielles. La communalisation suppose, pour apparaître, une langue partagée, des habitudes anciennes ... et l'opposition commune à un tiers. Ces conditions favorisent les sentiments d'identification des uns aux autres.
La «sociation» définit les groupements qui tendent à coordonner leurs stratégies pour contrôler ou augmenter leur accès à des biens matériels ou symboliques. La distinction entre ces deux types de groupements est en partie artificielle ; dans la réalité ces deux modes de groupements s'entrecroisent. Les deux dimensions n'auront pas, il est vrai, le même poids. Si une association de pêcheurs à la ligne se crée pour protéger une rivière contre la pollution, la «sociation» est au départ la dimension primordiale, mais après un certain temps des liens vont exister entre les membres et constituer une «communalisation». Cette association aura une identité différente de l'association des boulistes du même village : les manières de faire et de voir seront différentes et chaque membre aura le sentiment subjectif d'appartenir à un groupe particulier. Inversement, un groupement basé sur la communalisation aura, dans certaines circonstances, des intérêts à défendre et la sociation y apparaîtra. Max WEBER instruit donc ici la base permettant de constituer une typologie des groupements.
 
Les groupements peuvent être ouverts ou fermés. Max WEBER insiste sur cette dimension, par laquelle il désigne la possibilité que se donne un groupement de contrôler l'accès à son sein et l'accès aux «postes-clés». Un groupement est ouvert lorsqu'il laisse n'importe qui entrer dans le groupe, et ne met pas en place un processus de sélection pour contrôler l'accès aux postes dirigeants. Ce critère de caractérisation des groupements est intéressant par ses conséquences : ouvrir largement un groupement risque, par exemple, de mettre en cause le monopole du groupement ainsi que la validité de l'ordre qu'il défend et sa légitimité, mais en même temps la «fermeture» peut entraîner la sclérose.
 
Ces relations ouvertes ou fermées permettent encore de contrôler, au sein du groupe, l'accès aux positions dominantes. Chaque groupe se dote en effet de représentations, d'idées sur le monde, et souvent doit sélectionner les représentants chargés de maintenir cette identité. Aucun groupement ne peut laisser l'accès aux postes de direction au seul hasard, sinon il risquerait de mettre en cause son existence. Il faut que les représentants soient conscients de l'identité du groupe et de l'importance des représentations qu'ils doivent défendre. Les représentants doivent être d'autant plus rigoureusement sélectionnés qu'ils devront diriger les luttes dans lesquelles le groupement est engagé. Le meilleur moyen pour un sous-groupe de se réserver l'accès aux postes dominants est donc de s'assurer que les critères de sélection fonctionnent à son avantage.
 
Chaque groupement, parce que le sous-groupe qui a accès aux postes dominants le veut et parce que la lutte contre les autres groupements l'exige, cherchera à se doter d'une «direction» administrative plus ou moins forte : c'est-à-dire les moyens pour assurer la permanence de son autorité. L'organisation administrative peut conduire le groupement à prendre des formes à leur tour plus structurées. Le groupement, s'il obtient le monopole d'une activité sociale et sait le conserver, peut devenir une institution. Il lui faut alors réguler la domination qu'il exerce. Max WEBER nous donne deux exemples extrêmement intéressants de régulation de la domination.
 
Le groupement à domination politique qui existe «lorsque et tant que son existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue, à l'intérieur d'un territoire géographique déterminable, par l'application et la menace d'une contrainte physique de la part de la direction administrative». L'Etat est typiquement pour WEBER le détenteur de la plus grande capacité à utiliser la violence physique. Son pouvoir repose même sur ce «monopole».
 
Le groupement hiérocratique qui existe «lorsque et tant qu'il utilise, pour garantir ses règlements, la contrainte psychique par dispensation ou refus des biens spirituels du salut». Une Eglise est bien sûr un tel type de groupement. Mais on peut constater qu'un parti peut devenir «hiérocratique» lorsqu'il exclut les opposants qui ne partagent plus sa vision du monde. De la même façon, une Eglise peut aussi assurer une certaine domination politique (cela a été le cas avec le pouvoir temporel du Vatican).
 
Ainsi s'esquisse une typologie des groupements qui a une grande valeur heuristique. En effet, à partir d'une telle analyse il est possible de s'interroger sur les conditions et facteurs qui permettent le développement d'organisations cherchant à «structurer» les groupes sociaux d'une part et sur les types de dynamiques qui expliquent les relations entre les groupements.

 
L'analyse dynamique du rapport entre les groupes.
 
1. L'observation de la dynamique
 
L'analyse sociologique ne se contente pas d'observer les groupes sociaux, de les classer en fonction de divers critères, mais s'efforce de mettre en relations les éléments entre eux saisissant la dynamique de leurs rapports. On esquissera ici une distinction entre deux types de situations.
 
Les rapports de concurrence sont ainsi le fait de rivalités entre groupes d'individus pour accaparer des places sociales, des éléments symboliques valorisés ou des biens rares. C'est le cas par exemple des ingénieurs de grande école qui, orientés vers de nouvelles activités plus valorisantes à leurs yeux, vont abandonner les fonctions de fabrication. Celles-ci ne deviennent pas pour autant disponibles pour n'importe quel occupant, elles sont objets de luttes de concurrence et tout se passe comme si elles étaient «récupérées par des individus qui, n'ayant pas eu la scolarité que la position sociale de leur famille aurait dû leur permettre de s'approprier, se reclassaient». De la même façon, on pourrait montrer qu'un groupe en déclassement occupera des positions où ses membres, parce qu'ils y importent des avantages attachés à l'ancienne position dominante, obtiennent, par des luttes de concurrence avec les occupants habituels, la part la plus belle.
 
2. Luttes entre groupes sociaux.
 
Les luttes entre couches sociales sont très différentes. Elles s'élaborent à partir des rapports conflictuels entre classes sociales, fractions de classe, groupes religieux, groupes ethniques, etc. Les tensions et luttes entre groupes sociaux, dépendent en partie seulement des intérêts matériels. Les «représentations», les croyances, les idéologies, les styles de vie, y jouent aussi des rôles essentiels. Les réactions ne sont pas liées seulement aux situations présentes, mais aussi aux événements antérieurs dont la mémoire collective a gardé la trace et les schèmes de pensée qui font interpréter le futur du groupe. Ces luttes dépendent encore de la trajectoire sociale de ce groupe : les rapports de la petite bourgeoisie aux classes populaires ne sont pas identiques selon que l'on examine les réactions d'une couche ascendante, la petite bourgeoisie des métiers du social ou du corps par exemple, ou d'une couche en déclin, «les petits commerçants». Le sociologue Norbert Elias, dans ses travaux sur la «société de cour», a bien montré comment se développaient des luttes entre les diverses couches de la noblesse qui essayaient de ralentir leur déclin et les diverses fractions de la bourgeoisie en ascension.
 
A partir de ces oppositions plus ou moins explicites entre groupes opposés se mettent en place des stratégies de luttes entre groupements organisés censés représenter ces groupes et couches sociales ... Celles-ci supposent un «travail» sur les individus pour qu'ils se reconnaissent des propriétés communes. Il faut que se crée une perception relativement identique de la situation, un sentiment d'appartenance au même ensemble, une acceptation d'un minimum d'organisation, une hiérarchisation des objectifs à atteindre, etc. Cette analyse conduit obligatoirement à s'intéresser aux «appareils» qui tentent d'organiser les mouvements sociaux (appareils politiques, appareils syndicaux, militants révolutionnaires, etc.) mais aussi aux phénomènes de croyance et de représentation très complexes qui, sur la base le plus souvent d'une homologie de situation, permettent des connivences et des alliances, ou des complicités et des collusions entre groupes sociaux différents.
 
3. Inculcation, contrôle, domination
 
Les groupes sociaux prennent souvent dans nos sociétés la forme de groupements professionnels réunissant dans la même classe l'ensemble des agents qui exercent la même fonction, partagent plus ou moins les mêmes objectifs et occupent une position sociale souvent identique. Les stratégies des agents qui sont ainsi conduits à intervenir dans l'existence d'autres individus appartenant au même groupe social ou à des groupes sociaux différents forment donc des modalités essentielles des rapports entre groupes. Max WEBER est sans doute un des premiers à avoir souligné l'importance de ces stratégies, et leurs relations avec des mandats implicitement, ou parfois explicitement, confiés par les groupes dominants aux agents qui les mettent en oeuvre. L'inculcation de manières de voir, de penser, d'agir, le contrôle des pratiques et plus globalement la domination, sont les thèmes souvent centraux de ces modalités d'action. Les procédés utilisables par le sociologue pour saisir cette dynamique se rapprochent souvent de la méthode ethnographique. Il revient entre autres à Erwin GOFFMANN d'avoir largement contribué à cette élaboration. Observant minutieusement les situations que connaissent les individus soumis au pouvoir d'une institution (les internés dans un hôpital psychiatrique par exemple), GOFFMANN tente de trouver les significations de multiples interactions et échanges apparemment dénués de sens ou au contraire apparemment trop logiques : ainsi observera-t-il l'entrée à l'hôpital psychiatrique, les opérations administratives d'admission, le changement de vêtements, les déplacements dans les couloirs ou d'un pavillon à l'autre, les douches, les WC, etc. pour montrer magistralement que de multiples petites actions ont finalement comme sens de chercher à séparer le «nouveau» de son monde habituel, de briser son identité pour en faire un individu soumis à l'organisation dans laquelle il va désormais vivre. Une telle démarche permet de saisir les stratégies que développe un groupe (les infirmiers) pour s'imposer à un autre groupe (les malades). L'analyse de GOFFMANN rend compte de la situation que vivent tous les «reclus» soumis au pouvoir des organisations «totalitaires» (c'est-à-dire celles qui contrôlent le temps et l'espace des individus 24 h sur 24). Ce type d'approche permet de rompre avec des visées qui identifient les groupes à des catégories socioprofessionnelles dont le regroupement arbitraire permettrait de saisir les classes sociales. Les multiples petits groupes - syndicats, groupes d'atelier, associations sportives, groupements de fidèles, clubs ou fanfares pour ne citer que quelques exemples - se voient, dès lors que l'on s'intéresse à leurs actions de diffusion ou d'inculcation de représentations sociales ou de contrôle des pratiques les plus diverses, accorder l'importance qu'ils peuvent avoir dans la vie sociale en contribuant à la domination sociale et objectivement à la reproduction des inégalités et des structures.
 
Les représentations
 
La sociologie ne s'intéresse pas uniquement aux groupements, mais également aux catégories que les individus de ces groupements utilisent pour définir le monde, le sens qu'ils attribuent à telle ou telle situation, les motifs par lesquels ils justifient leur comportement, les explications qu'ils donnent des rapports sociaux... Cette notion de représentation est sans doute une des plus floues de la sociologie contemporaine. Avant d'aborder une situation plus concrète, il convient de bien saisir l'importance des représentations que les différents acteurs peuvent avoir par rapport à l'objet du conflit. Elle recoupe notamment les modes d'appréhension du monde (catégories de pensée, organisation des connaissances, savoir, raisonnement), les explications que chaque individu donne de sa propre conduite (motivation, règles de conduite, règles de vie, morale), les images associées à des souvenirs corrélées avec les manières de sentir et plus largement avec l'organisation corporelle (analyse du vécu, histoire de vie, souvenirs, mémoire), les significations enfin du monde social qui peuvent aller de bribes juxtaposées jusqu'à une organisation idéologique qui prétend donner la totalité du sens. Les divers aspects des représentations individualisées : catégories de pensée, description des motivations, sentiments, sensations, et souvenirs du vécu vont du plus institué (les catégories de pensée) au plus proche de l'affectivité (les souvenirs du vécu). Mais les uns et les autres dépendent, à des degrés divers, de l'organisation sociale des représentations collectives. Dans ce type de représentations attachées au monde social, les images, les appréhensions, les raisons et les jugements se combinent d'autant plus étroitement que le thème concerné est un «problème social». Les problèmes sociaux sont au centre de ces représentations et en expliquent bien des aspects. Dans la mesure où les conséquences et les causes des problèmes sociaux sont toujours étroitement liées, les appréhensions de l'avenir probable et les réorganisations des souvenirs jouent un rôle essentiel dans ces assemblements de représentations. Bien souvent d'ailleurs ces problèmes sociaux impliquent des jugements sur les stratégies des groupements, couches, fractions ou classes qui sont concernées. L'intensité de l'investissement dans ces représentations est largement proportionnelle à l'implication attribuée aux groupes concurrents, aussi englobent-elles les prises de position des responsables d'organisations qui tendent, en s'appuyant sur des bribes de savoir et sur des probabilités très approximatives, de décrire un avenir probable pour proposer les moyens de le maîtriser.
 
L'idéologie est un système d'organisation des représentations sociales. L'idéologie, les doctrines et les jugements de valeur font partie des représentations du monde social qui chercheront à donner un sens à l'ensemble des conduites, à les organiser à partir de significations dont la cohérence est au moins formelle. Elle organise l'analyse des motivations, l'appréhension de l'avenir, les histoires de vie, les jugements sur les problèmes sociaux, la hiérarchisation des divers groupes sociaux, l'acceptation de la validité de leurs revendications à partir d'une «théorie» du monde social, pour donner les moyens d'agir sur ce monde. L'objectif de l'idéologie, dès lors qu'elle organise les représentations, n'est pas une connaissance en soi du monde mais toujours une connaissance dirigée vers l'action dans et sur ce monde (MARX)
 
Les idéologies entretiennent des rapports complexes avec les jugements de valeur. Ceux-ci, en effet, s'ils expriment fréquemment un point de vue idéologique sur le monde social ne s'y ramènent pas pour autant totalement. Une partie des jugements de valeur est héritée des représentations antérieures, morceaux d'idéologie décontextualisés, (bribes qui, ainsi, retrouvent une logique culturelle), alors qu'une autre partie des jugements de valeur est inventée par des individus placés dans des situations nouvelles (individus en porte-à-faux, prophètes, intellectuels ou artistes qui essayent d'élaborer une nouvelle manière de voir le monde social et d'agir sur lui...)
Enfin, les doctrines ne maintiennent souvent que l'aspect le plus formalisable d'une idéologie. Autant l'idéologie est marquée par un travail d'élaboration collectif, autant la doctrine dépend du travail d'individus identifiables, sur la logique, la cohérence, l'articulation des propositions. Si l'idéologie organise la manière de voir le monde social, les doctrines qui s'y rattachent proposent plus souvent des manières d'y agir et s'efforcent de les imposer comme modèles. Certains facteurs sociaux, certains enjeux sociaux font que se structure un discours idéologique qui est d'abord un discours composite. Les mots utilisés sont souvent polysémiques et par leurs différentes facettes peuvent retenir l'attention de divers groupes sociaux.
 
Les représentations ne sont donc pas des «copies» ou des reflets des conditions d'existence. Elles dépendent beaucoup plus des univers symboliques dans lesquels évoluent les individus et des univers antérieurs qui ont engendré les principales thématiques. Les représentations sont plus ou moins soutenues ou propagées par des «centres de légitimisation» auxquels l'individu se réfère d'autant qu'existe une analyse sociologique des conditions sociales de leur diffusion. Aussi les représentations sont-elles plus ou moins soutenues ou propagées par des «centres de légitimisation» auxquels l'individu se réfère d'autant volontiers qu'ils apparaissent eux-mêmes comme les valides. On comprend dès lors que les représentations soient toujours des objets de luttes entre groupes sociaux puisque les manières de se penser, de penser les autres, de penser le monde social sont en relation avec les positions sociales que ce même monde a générées.
 
La ville et les groupes sociaux
 
La ville constitue un terrain privilégié pour étudier les groupes sociaux. Elle est aujourd’hui partout, sinon dans sa matérialité, du moins comme fait de société. Elle est à la fois territoire, espace et milieu, mais également unité de vie et population. Elle se détermine aussi bien comme un cadre physique que comme le lieu privilégié d’expression des relations entre les acteurs et les êtres sociaux. Au XIXe siècle, dans un monde en voie d’urbanisation rapide, le phénomène urbain est devenu l’une des préoccupations dominantes des sciences sociales. L’histoire, la géographie, la philosophie sociale et la sociologie naissante se sont intéressées à ce nouveau contexte, redéfinissant de la manière la plus générale possible les conditions de vie, aussi bien que les rapports des populations humaines à l’espace, au territoire et au milieu, que les rapports sociaux que les communautés humaines, les collectivités sociales entretiennent entre elles.
 
Si pour les géographes, la Ville s’inscrit avant tout dans un rapport à l’espace, pour les sociologues, elle répond à un processus de construction sociale lié aux activités humaines dans un contexte et avec des objectifs déterminés.
 
Pour les sociologues, on peut définir la ville comme étant « un regroupement de populations et d’activités durablement stabilisées sur un territoire restreint ». Ce sont souvent les critères de taille et de densité du peuplement qui déterminent ce qui est appelé « ville » de ce qui ne l’est pas. En France, le critère retenu par l’INSEE est la notion d’agglomération de population qui est définit comme étant un « ensemble d’habitations tel qu’aucune ne soit séparée de la plus proche de plus de 200 mètres ». Toute commune ou tout ensemble de communes comprenant une agglomération de population au moins égale à 2.000 habitants est considérée comme une unité urbaine. Dans le premier cas de figure, il s’agit d’une ville isolée, dans le second, d’une agglomération urbaine multicommunale (ex. : C.U.S.).
 
Une agglomération est la représentation du double sens du phénomène urbain. D’un côté elle est processus, mouvement par lequel on se rapproche, se rencontre, s’agglomère ; de l’autre elle est le résultat stabilisé de ce mouvement, configuration pérenne inscrite en un lieu.
 
L’agglomération est son processus se démultiplient au contraire en d’innombrables processus localisés d’agrégation ou de séparation qui s’inscrivent dans l’espace urbain avec différentes lignes de partage : secteurs, quartiers, unités de voisinage (anciens et nouveaux quartiers – anciens tissus urbains marqués en bordure par les caractéristiques architecturales et sociales des immeubles édifiés en bordure des nouvelles avenues, d’où les termes de circonscriptions, secteurs constructibles ou non-constructibles, périmètres à sauvegarder, zones à aménager, POS, SDAU et leurs représentations graphiques, etc…) On distingue aussi parfois le centre de la périphérie, l'hyper-centre du reste de la ville-centre ou encore plusieurs couronnes au sein de la banlieue.
 
 La ville peut être considérée comme un point dans un espace plus vaste, régional, national ou même international ; il faut alors y rechercher les causes, la signification de la concentration, en un lieu précis d’un certain nombre d’activités économiques et d’habitants, et d’analyser spatialement les relations entre ce centre et le territoire extérieur.[2]
 
La ville, a contrario, peut être saisie en elle-même comme une partie spécifique d’un espace organisé ; le sociologue y étudie alors la production de l’espace urbain, les modalités de localisation des différentes activités humaines et des habitants, ainsi que les modalités de déplacements de ceux-ci à l’intérieur même de la ville.
 
Toutefois, l’un et l’autre de ces points de vue conduit à analyser une réalité complexe dont les facteurs d’explication sont multiples, puisqu’ils sont à la fois naturels (morphologie du sol, géographie, climat, …), économiques (ressources, matières premières, industries,…) et sociologiques (culture, politique, démographie,…). Il va falloir tenir compte aussi bien du fonctionnement des activités urbaines que du comportement du groupe humain.
 
L’originalité de la sociologie tient principalement au fait qu’elle considère le phénomène urbain dans ses relations avec l’espace d’une part, et dans le problème fondamental qui existe entre la structure de la société (modèle culturel) et la nature économique et sociologique de la cité (fonction sociale).
 
Ainsi le sociologue est amené à confronter les types de villes, non seulement avec les systèmes socio-économiques (culture), mais également avec l’ensemble des productions humaines et des processus sociaux (individus, groupes, société).
 
La sociologie dans la ville est l’étude des groupes sociaux, des conflits, des aspirations des habitants, de la formation des mouvements, de l’expression des gens.[3]
 
De façon privilégiée, la psychologie sociale, dont l’objet précis est d’étudier l’individu (agent et acteur) dans ses rapports avec les autres et avec les cadres collectifs (interactionnisme), s’est posée la question de savoir, dans quelle mesure, les caractéristiques du cadre urbain d’existence, influent sur la personnalité des individus, sur leurs attitudes intellectuelles, leur affectivité et leurs aptitudes.
Or, une remarque s’impose, qui tend peut-être à limiter la portée des recherches actuelles : ces recherches naissent, s’élaborent et se développent au moment même où les sociétés développées et en voie de développement vivent une « crise de la ville ».[4]
Si historiquement la cité a toujours été considérée comme le siège privilégié, fondateur, d’une civilisation, d’un art de vivre, rayonnant loin dans les campagnes et les contrées environnantes, fascinant par ses monuments, ses innovations et le mode de vie de ses habitants, le processus mondial d’urbanisation qui est l’un des traits majeurs des décennies écoulées, a transformé le paysage des villes et l’image que l’on s’en faisait. Ce phénomène a largement remis en question l’opposition traditionnelle entre les villes et les campagnes grâce à laquelle, les générations antérieures saisissaient ce qui paraissait spécifique de l’existence urbaine.
Dans les sociétés industrielles, issues de la Révolution Industrielle, l’essaimage des villes sur des territoires de plus en plus vastes et différenciés, et la généralisation des modes de vie urbains ont rendu synonymes les deux expressions de « civilisation industrielle » et de « civilisation urbaine ». En fait, il est commun d’identifier, ne serait-ce que par le vocabulaire, ville et civilisation.
 
Si politesse, urbanité, civilité sont des termes qui traduisent une indéniable finesse dans les relations à autrui, il est remarquable de constater qu’ils dérivent étymologiquement de vocables grecs et latins synonymes de ville, comme polis, civitas, urbs, et montrent bien que la sociabilité urbaine a longtemps été gage de courtoisie, d’élégance et de raffinement en parfaite opposition avec la rusticité du rural. Chez les Romains, on désignait différemment la ville matérialisée (urbs [5]) et l’ensemble des citoyens et de leurs conditions (civitas [6]).
 
La ville au Moyen-Age se développe autour d’un village ou d’un bourg sous la tutelle d’un seigneur. Elle abrite les sièges des corporations, des groupes professionnels nouvellement créés et devient le siège de l’économie monétaire sur son territoire d’influence. Ce territoire sera entouré d’une ceinture fortifiée dont l’accès est strictement réglementé et permet de protéger les différents groupes sociaux et leurs biens contre les ennemis potentiels. Le seigneur exercera sa justice jusqu’à une lieue à partir des fortifications (banlieue). Le rustique domine encore, mais s’efface de plus en plus au bénéfice d’un nouveau raffinement et des richesses produites par les marchands et les métiers spécialisés (orfèvres, fourreurs, etc.) non liés à l’agriculture. L’évolution de ces villes est lente et ne s’accélèrera qu’au cours du XIXe siècle avec la révolution industrielle et l’arrivée des fabriques.
 
 
Qu’est-ce que la ville en fin de compte ?
 
On peut reprendre cette question de Théodore MONOD : « Mais qu’est-ce que la ville ? C’est le palais, bien entendu (puisqu’à ce moment-là va se développer une hiérarchie entre les classes sociales), le temple avec la divinité protectrice de la ville, la caserne, très efficace auxiliaire du palais, la prison, l’abattoir, le cimetière et enfin, le lupanar. Et voilà la civilisation avec un grand C, dans laquelle nous vivons encore actuellement. »[7]
 
La définition classique des villes, telles qu’on la trouve dans les dictionnaires des XVIIIe et XIXe siècles est purement descriptive : « La ville est l’assemblage d’un grand nombre d’habitations disposées par rues ». Cette formulation purement descriptive n’est pas vide de sens puisqu’elle évoque à la fois l’accumulation des hommes et ses corollaires : la proximité spatiale, le rôle prééminent de l’habitat, et l’existence d’un dispositif ordonné autour de l’habitat, des rues et de l’espace public. En fait, tous les essais de théories des villes sont orientés vers la notion de centralité. La ville assure avec la meilleure efficacité, par son existence et sa localisation, la rencontre et l’échange entre les hommes.
 
La ville est centralité :
-          centralité du marché qui permet et régule les échanges économiques,
-          centralité du pouvoir qui contrôle, redistribue et institue des règles de coexistence entre les groupes sociaux,
-          centralité des dispositifs qui organisent la division technique et sociale du travail,
-          centralité des lieux de culte, de loisirs et tous les « services » offert par la ville.
 
Il n’existe plus aujourd’hui la coupure matérielle forte entre la ville, les faubourgs et le pays environnant. Mais les statistiques en donnent une représentation concentrique. L’INSEE définit pour chaque agglomération multicommunale, un centre.
Si une commune représente plus de 50 % de la population urbaine, elle est une ville-centre. Dans le cas contraire, toutes les communes qui ont une population supérieure à la moitié de la population de la commune la plus importante, ainsi que cette dernière, sont considérées comme des villes-centres.
Les communes urbaines qui ne sont pas des villes-centres constituent la banlieue de l’unité urbaine.
Au-delà de l’agglomération proprement dite et définie par un critère de continuité de l’habitat, le tissu « péri-urbain » participe aussi du processus d’urbanisation qui affecte aujourd’hui des territoires moins densément peuplés. On tient compte alors du niveau des migrations quotidiennes domicile-travail, de l’importance de la population.
 
Mais la ville ne peut pas être considérée simplement sous l’aspect d’une « forme ». Les fonctions réelles de la ville – religieuses, politiques, culturelles, économiques, marchandes, commerciales, industrielles ou agricoles – se hiérarchisent et se combinent de manières différentes selon les exigences et les attentes de chaque société. La ville assure ainsi, parmi d’autres fonctions centrales, une fonction politique : « La présence du fait politique est partout dans la ville : la ville exerce des fonctions politiques ou administratives à l’égard d’un territoire plus ou moins vaste ; elle participe à l’encadrement territorial. […] Mais la ville, lieu de centralité, est également site privilégié de l’expression, de la diffusion des idées, de la lutte aussi ; capitale, elle organise les dominations comme elle couve les révolutions ».[8]
L’importance de la dimension politique et institutionnelle du fait urbain a été tout particulièrement soulignée dans un texte célèbre où le sociologue allemand Max WEBER applique aux villes sa méthode de construction des types idéaux. [9]
De ce fait, la ville répond à la fonction, à l’objectif, que lui assigne la société qui la construit, la modèle et qu’elle abrite.
 
De plus, si les formes et les fonctions urbaines sont le produit de l’histoire, les mécanismes, les jeux des pouvoirs et des acteurs sont également soumis à cette contingence historique de production sociale, et l’analyse passe donc de l’étude de la morphologie (forme) à celle des processus sociaux (urbanité).
Or, dans ce contexte théorique, les problèmes spécifiques d’élaboration d’une définition de la ville sont de deux ordres :
-          d’une part, la ville peut être considérée comme un ensemble d’agencement matériel, que l’on considère la localisation des unités urbaines dans un territoire donné ou l’organisation interne de chacune de ces unités,
-          d’autre part, la ville ne peut pas être réduite à une collection d’objets urbains, ni même à une combinaison de fonctions. Elle abrite une population dotée de certains caractères sociaux, ethniques et démographiques ; elle est une collectivité ou une somme de collectivités.
 
Ainsi, il est possible de construire des schémas qui subordonnent aux caractères généraux des sociétés, les traits et l’ampleur du phénomène urbain. Dans le cas le plus simple, on oppose les villes des sociétés préindustrielles, qui ne regroupent qu’une part restreinte de la population totale et affirment la prédominance du politique et du religieux (fonctions du pouvoir administratif et centre de culte, la vie sociale et communautaire se déroulant dans les villages, aux villes des sociétés industrielles fondées essentiellement sur l’échange et l’activité économique.
 
L’objet de la sociologie urbaine, en tant que discipline thématique interdisciplinaire des sciences sociales est bien de montrer que la ville ne peut pas être enfermée dans ses propres limites. Elle est située dans un système de relations à plus ou moins grandes distances et reçoit ou exporte des flux d’hommes, de capitaux, de marchandises et d’idées.
 
Il convient cependant de ne pas « naturaliser » à l’excès le phénomène urbain.
 
La ville est une construction humaine et sociale et non un élément originel de la nature. La ville est un lieu et non un acteur. Ce sont les sociétés humaines, localisées, qui sont capables d’entretenir ces flux, de les accroître ou de les renouveler et non la situation ou la position géographique de la ville.
 
L’opposition entre la ville et la campagne est de plus en plus attaquée par la diffusion récente du mode de vie urbain, la multiplicité des formes intermédiaires (banlieues), l’étalement des migrations quotidiennes des travailleurs, le développement des aires de loisirs. Le modèle de réseau hiérarchisé de villes et de bourgs y perd son fondement. Avec la mondialisation du processus d’urbanisation et la globalisation de l’économie, les villes ne peuvent plus être étudiées comme des points dans un espace. Elles sont elles-mêmes des espaces à l’intérieur desquels s’opèrent des divisions et des combinaisons entre les fonctions et les groupes sociaux.
 
Dans les années 60, la tendance de la sociologie urbaine était d’insister sur l’importance de la spéculation foncière et les investissements immobiliers apparaissaient comme un des domaines les plus rémunérateurs pour le capitalisme bancaire. En conséquence, l’ensemble des acteurs intéressés par l’explosion de la ville, l’évolution urbaine subiraient l’emprise directe ou indirecte du capitalisme financier et de ses exigences, et ce à tous les niveaux de la vie sociale, que ce soit la formation, les carrières, l’idéologie, etc… Cette sociologie accordait une place prédominante aux « mouvements urbains » nés des contradictions qu’engendre la spéculation urbaine.
Depuis les années 80, ce type d’interprétation disparaît et la sociologie urbaine prend de plus en plus conscience de la communauté des enjeux urbains dans les pays industriels. Il y a également une interrogation de plus en plus forte sur les difficultés qu’affrontent les villes du tiers monde qui connaissent une démographie galopante.
 
Evolution et glissement de la notion de ville
 
(a suivre ...)

Publié dans Sociologie

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D
Sans vouloir me placer au-dessus de vos connaissances, je prends la respectueuse liberté de vous conseiller de travailler la mise en page. Le texte est très intéressant, mais sa longueur et son aspect peu aéré ne permettent pas une lecture sereine. Quoi qu'il en soit, l'intérêt de la thématique n'est pas à dénoncer. Puis-je me permettre de vous demander de poster une impression sur mes écrits à l'adresse indiquée et à http://concoursfpt.wordpress.com
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